// Blooming Ashes //
Que subsiste-t-il lorsqu’il n’y a plus rien ?
La beauté du reste.
Et si un jour tout disparaissait ? Si l’on était contraint de faire tabula rasa, que nous resterait-il ? L’ornement comme dernier refuge. La métamorphose comme dernier subterfuge.
La femme se fait vaisseau vêtue de voiles de fausse pudeur, encordée de bijoux de peaux retenant son envol. Le crêpe de soie couleur terra cotta se laisse plisser, jouant douce la carapace. Le pli est poussé à son paroxysme: il ne redessine pas un corps mais l’espace tout autour.
« Le problème n’est pas comment faire un pli mais comment le continuer, lui faire traverser le plafond, le porter à l’infini », écrivait Gilles Deleuze *. Une aspiration à l’infini.
Lorsqu’il faut tout réinventer, la femme se fait magicienne et retrouve ses pouvoirs perdus. Caparaçonnée dans sa robe de fourrure travaillée comme une mosaïque et ornée d’écailles de cuir découpées au laser par le créateur textile Coen Carsten, elle devient personnage d’une mythologie qui doit encore être écrite.
Elle est femme chamane dans toute la puissance de son apparente fragilité, ceinte de bustiers de cuir tressés couleur de terre rouge et de harnais irisés faussement protecteurs. En voie de métamorphose, son corps se recouvre de lianes fragiles, douces contraintes de branchages de passementerie qui n’aspirent qu’à s’enrouler autour du corps d’une femme.
Sa force est sa beauté. Amazone au corps redessiné dans sa combinaison bi-matière de toile enduite couleur orange Magma et de sergé de coton Terra Cotta. Elle porte cotte de maille fragile, ou combishort fait de pressions reliées de fils de cuivre. Femme victorieuse, voilée-dévoilée dans sa robe en jersey et broderie de chaînes, dénudée de tout artifice. Femme puissante qui reconstitue son armure avec les restes, selon sa propre gestuelle, se jouant des paradoxes et des ambivalences.
Femme des profondeurs, enveloppée d’organza liquide irisé composé de centaines de nervures. Créature vêtue de la lumière des limbes en sa robe de LED et de cordes de piano co-créée avec le sculpteur Bastien Carré. Bel animal bioluminescent revenue des abysses. Lorsque la survie confine au sublime…
* Gilles Deleuze, Le Pli, Leibniz et le Baroque, Les Editions de Minuit, 29 juin 2011.
// Shed my Skin //
Au cours d’une vie, les moments de transformation sont les plus puissants. Ce glissement du familier vers une entité distincte est cet instant où nous sommes, à égale mesure, pétris de courage et d’une grande fragilité. Métamorphose du corps et de l’âme, abandon des vestiges du passé et nouveau commencement.
C’est cette pliure cruciale que Yiqing Yin explore ici. En prenant la mue d’un serpent comme métaphore de son travail, la couturière explore les strates de cette évolution si particulière.
«Il y a la notion, lorsqu’un animal ou une femme se transforme, de la douleur, d’une sorte de violence. Mais paradoxalement, il y a la douceur d’une peau neuve, une renaissance, » raconte-t-elle.
La dentelle fait écho aux motifs graphiques de la peau du serpent. Ses dessins uniques sont mis en lumière par l’ajout d’écailles découpées au laser. Ou encore l’introduction de soie dévorée qui évoque la notion de mue. Des broderies à fleur de tissus ou en volume apportent une évolution texturale, tandis que l’insertion par touches, de mue de python vert, réputé pour son opacité blanche, provoque le frisson du réel dans une oeuvre imagée.
Les ensembles ont été conçus pour s’enrouler autour de la silhouette, cachant ou dévoilant la peau au fil des mouvements de celle qui les porte. Leur construction renforce l’idée du renouveau en proposant des tenues qui semblent à peine suspendues sur le corps, comme si elles étaient sur le point d’être délaissées. Par contraste, certaines pièces telles des carapaces oversizes, viennent envelopper et protéger tout en légèreté.
Un mouvement sensuel anime cette collection. Le Lurex donne l’illusion de vêtements faits de mercure. Mais cette mobilité se retrouve structurellement dans les silhouettes mêmes. Elles peuvent également se transformer par le simple déboutonnage du pan de soie d’une jupe, l’ajout d’une manche longue à une épaule ou l’enroulement de tissu à la taille.
«J’aime l’idée que le vêtement puisse évoquer une absence,» dit Yiqing Yin. «Les vêtements sont le témoin de la vie d’une personne et il y a une poésie ineffable à cela.»
// Oxymore //
Nonchalance domptée, flou rigoureux, anarchie maîtrisée, simplicité complexe, abstraction poétique, Sensualité guerrière.
Cette collection est un virage.
Yiqing Yin a fait un pas de côté. Après avoir exploré pendant plusieurs saisons son monde onirique peuplé de créatures en mutation, de personnages en métamorphose – animale ou végétale – elle en a extrait l’essence. Elle s’est recentrée : sur le métier, la forme, la matière, l’être. Comme un retour au centre. Au milieu, point fragile d’équilibre. Une affirmation de ses codes.
Cette collection est médiation.
Le corps est au centre de tout. Le corps comme partie prenante de cette architecture de tissus. Aucun artifice, pas de corset, de fausses réponses, de faux-semblants. La vérité nue ou presque. La vérité d’un corps qui vit sous son vêtement, sans contrainte. Mais qui n’est pas abandonné pour autant.
Cette collection est respiration.
Les vêtements sont des sculptures poussées jusqu’à l’épure. Recherche de l’essentiel, abstraction du geste. Libération. Les drapés sont instinctifs, jetés, la soie liquide, la soie lavée, l’alpaca semblent avoir été noués autour du corps, simplement, dans un enveloppement nonchalant. Les matières paraissent couler comme des rivières, naturellement. Alors qu’il n’en est rien. Alors que tout est maîtrisé, au millimètre près. Mais cela ne se voit pas.
Cette collection est élan.
L’angle et la courbe entrent en collision pour se fondre. Le tailleur masculin se retrouve déconstruit malgré lui, il change de nature, mais pas de genre. De linéaire, il devient flou. Les calques de mousseline et de satin imprimés créent des effets d’optique cinétique, des vibrations, des moirages.
Cette collection est envol.
Une palette réduite à l’essentielle pour dire cette femme retrouvée, souveraine, qui s’inscrit dans une lignée d’autres femmes, en arborant, comme une deuxième peau, un tatouage à la fois ancestral et futuriste. Tribal, primitif, le jersey dévoré se fait deuxième peau. Peau tatouée jusque dans les creux. Les cristaux Swarovski créent une silhouette de lumière.
Cette collection est un chant.
// Moth //
Saturnidés de soie couleur d’écorce, de lichen ou de roche, chrysalides tissées. Entre douceur et violence, feux nocturnes et éblouissements de l’aube, Amnésie, Météore, Brise, Voltige, Cocoon, et treize autres papillons de nuit déploient les ailes de la beauté nyctalope. Gravitant au royaume de toutes les métamorphoses, ils explorent des chemins d’obsessions et de brume. Danse frénétique dans la poussière, tressages enroulés, manteau cocon de renard moucheté.
Armures de plumes, organza liquide, jeux d’illusion et de dilution, dégradés terrestres et poudrés, reflets métallisés accordent à ces sphingidés l’aura d’un corps devenu robe, ce souffle d’éternité dans l’éphémère, allégorie de l’instant et du toujours : la Haute Couture.
// Les Rives de Lunacy //
La nébuleuse de la méduse
Entre songes et visions telluriques, nuages flottants et torrents de lumière, la collection jaillit au cœur d’un univers où la matière fait corps avec l’âme. Un hiver comme un voyage en haute mer, dans lequel sensations filaments, colères d’écume, madrépores envoûtés par l’œil et la main, s’adonnent à un ballet aquatique aux couleurs d’une nuit de lune. Tumultes des récifs de soie écorchée. Bouillonnement des courants marins, planctonique qu’ensorcellent lucernaires et coronates, méduses convulsives.
Autour du corps, le fond des cieux et le fond des mers s’aimantent et se télescopent, là où nimbus, physalies et coraux imaginaires, recomposent, en ces milieux fluides, un nouvel ordre sensible, à fleur de désir et d’utopie.
// Sur le Fil //
Avec ce défilé qui mêle pièces de couture et ligne de prêt-à-porter, Yiqing Yin poursuit la patiente construction d’une réflexion autour du temps qui fait croître et décompose, des liens qui unissent et se rompent.
Inspirées par l’artiste et architecte Naum Gabo – dont les sculptures presque immatérielles aux grands volumes paraboliques occupent l’espace sans l’envahir – les robes couture spectaculaires dégagent une grâce infinie et diffusent un sentiment étrange.
Posées sur le corps, elles semblent en faire intégralement partie, sortir de lui pour l’envelopper, en suspension mobile, en lévitation. Chair et tissu s’interpénètrent, broderies de cristaux Swarovski et de perles poussent comme des excroissances précieuses à même la peau. Une autre réalité se dessine.
Entre le flou et le structuré, le textile et le métal, le hasard et la nécessité, Yiqing Yin tire un fil. Celui de l’histoire, de la mémoire, de la pensée. Celui qu’on perd, celui qui se tend ou pend. Le fil ténu qui, avec d’autres, finit par tisser, nouer, tresser quelque chose de solide. Et qui, une fois tiré, effiloche, détrame le tissu et l’histoire.
L’idée suit son cours hautement narratif, des broderies de fils réalisées une à une dans l’atelier de Yiqing Yin aux bandages de corde de métal sculptées au fer et poncées par l’artiste Nora Renaud.
Les broderies de fils sont omniprésentes. On les retrouve sur les robes mais aussi sur les voiles qui couvrent les visages, redessinant leurs traits, dédoublant, floutant l’identité pour en révéler une autre. Les fils coulent sur les joues comme des larmes. Ils semblent parfois jetés là, de manière aléatoire. Pourtant, chaque broderie, de fils, de cristaux ou de perles, est placée et dessinée précisément au préalable observant une parfaite symétrie, un ordonnancement apodictique, une composition minutieuse.
Les jerseys d’organza plissés « au chic » font naturellement alterner des séquences d’ombres et de lumières. Les longs fils se déversent le long du corps, liquides, ou s’agglomèrent à certains endroits, les strass formant autant de points de jonction sensibles. Les cristaux Swarovski en ton sur ton sont traités comme de la poussière, contaminant, grignotant les fils nus. Le minéral répond au végétal. Tout semble échapper à la volonté humaine mais tout est dicté par elle.
Des couleurs fanées, grisées, oxydées, du blanc opalin, du rouge cinabre, du cyan, des mille et un nœuds (de cordage, de feston, de passementerie…), des velours dévorés comme usés, des défauts qui n’en sont pas, naissent l’émotion et le mouvement.
Pour son prêt-à-porter, Yiqing Yin taille dans l’Escorial, d’habitude réservé au vestiaire masculin, des vestes, gilets, pantalons, robes à la surface vibrante, reliéfée de micro-jacquards envers comme endroit. Un jumpsuit en crêpe noir noué-dénoué, une robe en laine et soie feutrée sur gazar drapé, une cape en plumes d’autruche rongées à l’acide et teintes en dégradé de quatre coloris à l’effet mouillé, un fourreau noir juste parcouru d’une couture comme une cicatrice, un manteau de lourd cachemire terminé par une traine en mousseline ultralight… Chaque pièce tire le fil d’une réflexion sur les apparences trompeuses, les lignes mouvantes, le mariage des contraires, l’état fluctuant de la matière. Comme pour prouver que rien n’est figé ni impossible.
// Spring of Nüwa //
Spring of Nüwa, la nouvelle collection automne-hiver 2012-2013, de la maison Yiqing Yin évoque la renaissance de la femme dans un monde végétal et minéral dont elle se pare et s’enveloppe.
La créatrice affirme son écriture stylistique et explore un nouvel univers de couleurs qui reflètent une nature vivante et changeante. Les tons fusionnent et se superposent les uns aux autres. Le rouge est pur, le gris ardoise entrecoupé de tons célestes. Le bleu et l’argent se fondent en dégradé.
Légers à l’extrême, le satin et la mousseline montés en couches successives offrent au regard une nudité pudique. Sous le tulle saupoudré de gouttes de rosée, la peau est dévoilée. Le tumulte de l’organza liquide s’irise d’éclats de lumière. A ces matières fragiles s’oppose la texture poudreuse de lins bruts et cassants pourtant animées de la même fluidité.
Yiqing Yin construit des volumes en mutations qui évoluent avec le corps. Les surfaces cassantes sont apurées et les matières fluides sont sculptées pour trouver une densité cohérente.Le flou naît de la déstructuration travaillée, réfléchie et se propage jusque dans les imprimés. Les lignes sont tantôt nervurées, tantôt ajourées ou traitées à bords vifs.
Dans un vêtement éthéré, cette femme est impalpable, immatérielle, rêveuse et complexe. Elle est paradoxale mais limpide, maitrisant ce qu’elle dévoile d’elle même et de son corps.Spring of Nüwa réunit des pièces Couture et uen ligne de prêt-à-porter. Les vêtements sont réalisés à la main, en atelier. Chacun porte la marque de l’intervention de la créatrice.
La collection prêt-à-porter In Carne, présentée en janvier dernier, sera commercialisée chez Montaigne Market à Paris, Saks Fifth Avenue à New-York, Joyce à Hong-Kong et Beijing, et chez 10 Corso Como à Milan et Séoul.
// In Carne //
Une grâce nouvelle, la femme porte comme une évidence son origine et son encrage à la terre, son énergie organique, sa force vitale.
Des silhouettes monochromes dont le souffle et la force tiennent à ses possibilités de se transformer et de recréer la vie à l’intérieur comme à l’extérieur d’elles même.
Des robes fluides en soie, alcantara, jersey, organza lui assure toujours sa liberté, son mouvement.
La femme est vêtue d’une vie animale, végétale, minérale, liquide et solide.
Les matières se mélangent, comme la peau reçoit l’eau, le vent, les tempêtes, les brûlures du soleil, les initiations de la forêt et du temps. La vie est en marche, elle crée et transforme quoiqu’il advienne.
Les couleurs sont celles de la terre, de la mousse, de l’expérience reconstruite. Du noir au blanc à l’ocre et l’or avant qu’il ne brille, des gris non définitifs, le ton sur ton lui assure l’ouverture du passage.Les surfaces s’accidentent et se recomposent comme des strates. La peau se nourrit, se marque et se mélange. La fourrure est rasée, des dentelles retravaillées évoquent une architecture primitive comme les mélanges de pierres et de cristaux nous ramènent aux fonds marins. Le velours est lumineux comme une chaleur intérieure.
La structure est totémique, verticale, le travail des volumes se fonde sur les points d’équilibre du féminin bien compris qui font sa singularité. Le vêtement tient d’un point sur l’épaule, sur les hanches ou sur le bas des reins.
Parfois ailée, aquatique, ouverte, enveloppée ou voilée, il ne s’agit pas de briller mais d’exister, libre au milieu du chaos, sur la banquise ou dans la foret. Le mouvement surgit toujours, la mutation s’opère.
Le corps de la femme Yiqing Yin est fait pour abriter l’évolution d’un monde toujours mouvant, qui ne craint pas la métamorphose. L’animalité sans provocation, l’animalité acceptée, voilà l’élégance de la simplicité où le corps respire.
// Ouvrir Vénus //
« L’être s’invite lui-même à la terrible danse, dont la syncope est le rythme danseur, et que nous devons prendre comme elle est, sachant seulement l’horreur à laquelle elle s’accorde. Si le cœur nous manque, il n’est rien de plus suppliciant. Et jamais le moment suppliciant ne manquera : comment, s’il nous manquait, le surmonter? Mais l’être ouvert — à la mort, au supplice, à la joie — sans réserve, l’être ouvert et mourant, douloureux et heureux, paraît déjà dans sa lumière voilée : cette lumière est divine.
Et le cri que, la bouche tordue, cet être tord peut-être mais profère, est un immense alléluia, perdu dans le silence sans fin. »
préface à Madame Edwarda, de Georges Bataille
// Exil //
Froissement d’airain
Replis en offertoire et frôlement abandonnés
Secrète couture d’Espace
Plissé
Transmuée de brume
Boulement pulpaire en feulements assourdis
Haute note grisée des Temps
Suaves enveloppes de douceur
Déliant les corps tissés d’à vif
L’arrogance est ravinée dans la puissance crevassée de la volupté
Qui sent
l’affairement du doigté ?
Vibrant Pliant Tirant Plissant Lissant
La défaite du volume au cœur du vêtir
Comme une sismique frêle
Constante affaissée du Désir
Douceur pulpée du cousu main
Plissement morainique d’infime
Faille sensible
Ecart affolant reprisé d’émoi
Tant est Silencieuse la
Lumière exhilarante de l’Exil
L’enveloppe souple du Visible
Monte à force de fil
Effilé blanc sablé rosé
Au cœur de l’Offert
Pascal Verrier